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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 09:17

«Isgharen irqaqen serghayen izuranen». «Les brindilles mettent le feu aux grosses bûches».

Proverbe amazigh

La vallée du M'zab, en proie à des violences cycliques, a vécu son passage à l'année 2014 dans la violence. Il y a près d'un mois, la perle du désert a été soumise à une autre épreuve de maisons et magasins vandalisés. Mais, surtout, l'aggravation d'un vieux conflit aux plaies

2013-janvier 2014 étaient d'une autre ampleur. Les violences ont fait quatre victimes. Il y a urgence.

La crise de Ghardaïa est symptomatique de l'échec de la gouvernance. La fracture est là. Mais les habitants mozabites estiment surtout que l'Etat n'assure pas leur sécurité et que le problème dure depuis trop longtemps. Un ´´centre opérationnel´´ de sécurité placé sous le commandement de la gendarmerie et de la sûreté nationales sera installé dans cette wilaya dans le but de rétablir par la force l'ordre tandis que le dispositif de sécurité dans la région sera ´´multiplié par trois, voire quatre, pour restaurer définitivement le calme´´. Les causes classiques sont connues: manque de perspective, manque de projets de développement, propagation des fléaux sociaux.

La majorité des jeunes Ghardaouis sont insatisfaits des projets de développement réalisés dans leur wilaya. Les élus et notables dénoncent la drogue. Ce sont les barons de la drogue et du crime qui sont derrière ces incidents. A tort, on a minimisé deux faits: la profanation du mausolée de Ami Moussa au cimetière Ami Saïd. «Les cimetières chrétiens de Ghardaïa n'ont jamais été ciblés depuis l'indépendance, pourquoi alors s'en prendre à des cimetières de musulmans ibadhites? De plus, on annonce qu'au moins trois mosquées de la ville sont sous contrôle de la mouvance salafiste. Or, le salafisme n'est pas limité à Ghardaïa. On le voit, les causes sont plus profondes et les remèdes utilisés - renforcement de la sécurité - s'ils peuvent permettre de gagner du temps, ne règlent pas les problèmes de fond et dont la résolution ne doit pas être différée.



Les Mozabites, des Algériens à part entière et non entièrement à part

Le M'zab, bâti depuis des siècles sur des valeurs arabo-islamiques, fait partie intégrante de l'Algérie. Et à ce titre, tous les Mozabites, sans discrimination aucune, sont des Algériens à part entière; ils ont le droit imprescriptible d'y vivre dans la sécurité et la paix, sous la protection de la loi et du droit qui garantissent l'inviolabilité de leur vie et de leurs biens, Il n'y a pas de raison pour que ce qui a été possible pendant des siècles, ne subsiste pas dans l'Algérie devenue indépendante. Le M'zab doit continuer à demeurer l'un de nos meilleurs exemples de la concorde, qui forme le ciment de notre cohésion nationale. Dans une contribution sans concession Abderahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, a d'abord expliqué pourquoi nous en sommes arrivés là: «Cette fois, la blessure ouverte dans ce ´´grand corps malade´´ qu'est devenue l'Algérie a pour nom le M'zab.» Pour lui, le mauvais départ a été le Congrès de Tripoli: «Les clans remettent en scène cette violence qui a cours depuis le Congrès de Tripoli, à chaque compétition pour de supposées alternances dans le pouvoir, parce qu'en l'absence de vie politique, la violence continue à s'imposer comme seule forme d'arbitrage. Au nombre des symptômes de la conjoncture actuelle, il y a donc la peur, dont la peur du changement.» (1)

De plus, Abderrahmane Hadj Nacer pense - et nous aussi - que la morale à l'ancienne n'est plus suffisante, c'est à l'Etat régalien d'affirmer la citoyenneté de chacun. Il écrit: «(...) Pour l'heure, il s'agit toujours de constater que dans aucun des lieux où la violence a éclaté, l'intervention n'a correspondu à une gestion de mise en place de la citoyenneté. Plus encore, au fil des événements, on se rend progressivement compte qu'il s'agit plutôt d'une gestion tendant à la «tribalisation» de la société, comme si nous avions affaire à une administration préférant traiter avec des tribus, passer des accords avec des chefs, en l'absence de citoyens qui eux s'expriment à travers des partis politiques, des associations de masse, des unions professionnelles et civiques avec qui il faudrait négocier. (...)»(1)

Avec la rage au coeur, il constate que l'Algérien ne travaille pas: «Au terme de cinquante années d'indépendance, l'un des résultats auquel est arrivé la Nation, c'est d'avoir désappris aux gens à travailler et les avoir au contraire habitués à tendre la main pour un logement, pour un emploi, pour du cash sous prétexte de micro-entreprises et autres. (...)»(1)


Abderrahmane Hadj Nacer en appelle à un débat «(...) sur la place de l'Algérie dans le monde, quel rôle assigne-t-on aux Algériens dans les recompositions en cours, puisque de toute façon ou il nous sera imposé un rôle, ou nous participerons de son choix. La Corée du Sud, la Malaisie, l'Amérique latine nous montrent bien que l'on peut ne pas seulement être des sujets à la disposition de telle ou telle sphère, de telle ou telle strate de l'édifice du pouvoir mondial en chantier, qu'on peut toujours choisir son avenir, qu'on a le droit et le devoir de choisir sa propre voie.»(...)(1)



Les dangers qui guettent l'unité du pays

On annonce çà et là des partitions en cours dans les pays arabes. Nous avons tous en tête la partition de l'Irak en trois régions, la partition du Soudan et le chaos qui s'en est suivi; la guerre civile en Libye qui n'a plus les attributs d'un Etat, le calvaire syrien et dit-on, le projet de partition actuel du Yemen en six régions. Tout ceci est la conséquence de l'incurie arabe qui a donné lieu au Mepi (Middle East Partenaireship Inititiative). S'agissant des nuages qui s'accumulent autour de l'Algérie, les événements de Ghardaïa ne sont pas à minimiser, nous nous souvenons avec douleur de Tiguentourine, nous croyons à tort - le discours dominant nous y incite- que nous ne sommes pas concernés, que nous avons payé, que le «printemps arabe» pour nous c'était octobre 1988 et que non satisfaits de cela nous nous sommes étripés à qui mieux mieux, pendant une dizaine d'années sous le regard indifférent de l'Occident qui comptait les points. Deux cents mille morts plus tard, nous en sommes au même point. Nous sommes plus que jamais vulnérables.

François Charles nous en parle: «Il y a déjà plusieurs mois que les Etats-Unis, après avoir classé l'Algérie comme ´´pays à risque pour la sécurité des diplomates´´, ont implanté des installations militaires avec contingents de marines, à la pointe sud de l'Espagne, sans cacher le moins du monde leurs intentions interventionnistes vers le nord de l'Afrique. Toujours est-il que, après les Maliens et au vu de l'état de tension régnant dans toute la sous-région, les Algériens sont fondés à nourrir de grandes inquiétudes. (..) Que ce soit en Italie ou en Espagne, au Nord Mali ou au Niger, qu'elles soient françaises ou US, force est de constater que les implantations militaires se multiplient dans la région proche Maghreb. (..) De l'Irak des ´´armes de destruction massive´´ à la Libye du ´´sanguinaire´´ Kadhafi ´´ meilleur ami de la France, de la Syrie au Mali, de la Côte d'Ivoire à la Centrafrique... on s'aperçoit que c'est surtout au nombre de guerres menées, en son nom, sur le continent qu'on peut mesurer les résultats de la politique ´´humanitaire´´.»(2)

Abderrahmane Hadj Nacer ne dit pas autre chose, il écrit: «En Europe, il existe des cercles qui étudient la variante de la «Mexicanisation» comme évolution possible de l'Afrique du Nord. Pourrait-elle devenir pour l'Europe ce qu'est le Mexique pour les Etats-Unis d'Amérique, cette zone frontalière dans laquelle va régner une violence endémique, avec des zones de non-droit très importantes, détenues par les grands trafiquants et servant aussi de base pour les «opérations furtives», les guerres informelles des Etats; avec en sus cette idéologie wahhabite qui permet la mainmise sur les populations, desquelles on peut tout obtenir, auxquelles on peut tout faire faire, au nom de la crainte de Dieu?(...)» (1)

Qu'est-ce qu'une nation?

Comment conjurer les démons de la division et aller vers le vivre-ensemble? Une définition classique: «La nation est plus une construction idéologique qu'une réalité concrète. Son étymologie est liée à la notion de naissance (nascere). Certaines données objectives permettent de définir une nation: le territoire, l'ethnie, la langue, la religion, la culture, l'État. (...) Dans sa conférence du 11 mars 1882, Renan formule l'idée qu'une nation repose à la fois sur un héritage passé qu'il s'agit d'honorer, et sur la volonté présente de le perpétuer. «Une nation est une âme, un principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de coeur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation.» (3)


En son temps, Abdelhamid Ibn Badis avait tenté une réponse dans la revue Echihab du mois d'avril 1936: «Nous avons cherché écrit-il, dans l'histoire et dans le présent aussi et nous avons constaté que la nation algérienne musulmane s'est formée et qu'elle existe, comme se sont formées et existent toutes les nations de la terre. Cette nation a son histoire illustrée par les plus hauts faits; elle a son unité religieuse et linguistique; elle a sa culture, ses traditions et ses caractéristiques; bonnes ou mauvaises, c'est le cas de toute nation sur terre.» (3)

Pourtant si nous remontons dans l'histoire, la notion de nation a fait l'objet d'un pacte d'alliance du Prophète (Qsssl) avec les juifs de Médine. «On rapporte en effet que le Prophète (Qsssl) rédigea une Constitution détaillant les responsabilités de chaque groupe résidant à Médine, de même que leurs obligations les uns envers les autres et certaines restrictions pour chacun. Chaque groupe se devait de respecter les détails de cette Constitution et toute violation de l'un de ses articles était considérée comme une trahison. Le premier article de cette Constitution stipulait que tous les habitants de Médine, c'est-à-dire les musulmans et tous les juifs, chrétiens et idolâtres qui avaient signé le traité de paix, constituaient «une seule nation, à l'exclusion de toutes les autres». Ils étaient tous considérés comme membres et citoyens de Médine, indépendamment de leur race, religion ou lignée. Les non-musulmans jouissaient de la même protection et de la même sécurité que les musulmans, tel que stipulé dans un autre article qui disait: «Les juifs qui sont avec nous recevront de l'aide et seront traités de façon équitable. Ils ne seront point lésés et aucun soutien ne sera apporté à leurs ennemis.» (4)


L'avènement d'une nation passe par une Histoire assumée par tous

Notre indépendance a atteint l'âge de raison. Mais l'Algérie peine toujours à se redéployer dans un environnement mondial de plus en plus hostile. L'écriture de l'histoire et l'avènement d'un projet de société restent à écrire. L'un des rares historiens qui a un tant soit peu parlé de la période ottomane fut Mahfoud Kaddache. Je ne connais - je peux me tromper- d'historiens algériens qui se soient investis d'une façon continue dans l'écriture de l'histoire de la période des royaumes et encore moins de toute la face invisible de l'iceberg constituée par dit-on les 17 siècles de période historique pré-islamique qui aurait débuté dit-on avec un roi, Shichnaq réhabilité pour une bataille qu'il aurait conduite contre un pharaon en 964 avant J.-C. C'est dire que nous avons à réhabiliter l'histoire du pays, la faire assumer par tous les Algériens et l'enseigner à l'école en même temps que les fondements du vivre-ensemble

L'Algérie ne s'est jamais posée la question de savoir ce qu'elle est réellement. Les différents gouvernements ont toujours occulté cette interrogation au nom de l'unité et des «urgences». Sommes-nous une nation? Le jeune Algérien dont la conscience est ouverte à tout vent, du fait d'une éducation désastreuse, de médias indigents et d'une sous-culture, s'identifie au gré des vents à son quartier, à sa tribu, à son ethnie, rarement il ne se sent algérien. Pourquoi?

Nous sommes en 2014, il y a encore des Algériens qui s'identifient à leurs tribus, leurs régions, leurs quartiers, mais jamais en tant qu'Algériens. Il y a ceux qui sont encore arrimés mentalement à une sphère moyen-orientale au nom d'une arabité de la résurrection (El Baâth), il y a ceux qui pensent qu'il faut en revenir au socle rocheux amazigh maghrébin. Il y a enfin ceux qui ne parlent pas de pays mais de oumma.

C'est tout à fait l'inverse chez nos voisins tunisiens qui s'arriment à leur fond rocheux puis dans l’histoire : A titre d’exemple, le carthaginois Hannibal est sur les billets de banque. La statue d'Ibn Khaldoun est sur l'avenue principale de Tunis. Même saint Augustin est récupéré pour la cause. Chez nous, l'Algérien a la haine de soi: rien! L'amnésie est totale concernant l’histoire de notre pays . Mieux encore ; Ben Bella a clos le débat identitaire d'un véhément: «Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes!»


Quelle serait la solution pour éviter la partition?

Dans l'histoire récente, l'Algérie a connu une tentative de partition «ethnique» qui fut la dernière cartouche du pouvoir colonial. En août 1961, Alain Peyrefitte rédige un rapport sur un projet de partition de l'Algérie. Par miracle, l'Algérie échappa à la partition, notamment du fait de la puissance de la glorieuse révolution. Nous n'avons plus ce ciment fédérateur.

Pour Abderahmane Hadj Nacer nous avions tous les ingrédients de la réussite à créer quelque chose de pérenne : «Nous avions la trajectoire historique, les ressources humaines et matérielles qui plaçaient l'Algérie en situation de donner l'exemple en matière de l'émergence citoyenne dans un pays du Tiers-monde, et désastreusement, le «Phare du Tiers-Monde» est le pays qui a montré jusqu'où peuvent aller les manipulations. (...) Des leaders qui, on l'a vu en Kabylie, chez les Touareg, au M'zab, comme par hasard, disent tous la même chose: l'autonomie, l'appel à l'intervention étrangère, l'appel à l'ONU pour obtenir du reste de la population une réaction qui est nécessaire mais simpliste. Un «Ah non! Vive l'unité nationale, il faut en finir avec ces trublions». C'est d'autant plus facile à obtenir que ce trublion est celui qu'on estime très différent de soi, le Kabyle, le Touareg, le Chaoui, le Mozabite, peu importe.» (..)»(1)

On se rappelle qu'il a fallu cinquante ans, pour que le pouvoir lâche du lest et admette qu'il existe un «fond rocheux berbère trois fois millénaire dans ce pays». Le jacobinisme a montré ses limites. Peut-être que l'instauration d'un État fédéral trouvera sa justification Qu'on se le dise! Nous sommes à la croisée des chemins. L'Algérie ne connaîtra pas le repos tant qu'elle n'aura pas réglé l'épineux problème du vivre-ensemble. Dans l'immédiat, le gouvernement serait inspiré à réfléchir sans délai à un véritable plan Marshall avec un «ministre des provinces du Sud» installé à demeure.

Ce sera le premier pas vers une réflexion de fond pour une organisation du pays type Landers allemands, Etats américains où chaque région dispose d'une autonomie dans le cadre d'un État fédéral qui est garant des fondamentaux, l'identité, les langues et religions, les fonctions de défense régaliennes? Voilà les questions qui intéressent les Algériens pour qui la nation serait un ´´plébiscite de tous les jours´´ selon la belle formule de Renan.

Chaque Algérienne et chaque Algérien combattra pour l'unité et il est tragique de s'en prendre à nos défenses immunitaires représentée par les services du DRS. Nous devons consacrer l'Etat de droit qui manque cruellement. Une justice juste et autonome. Une liberté d'expression avec des lignes rouges acceptées telles que l'unité du pays...


1. Abderahmane Hadj Nacer http://www.elwatan.com/contributions/au-dela-du-m-zab-au-dela-des-clans-la-servitude-08-02-2014-245036_120.php


2François Charles http://www.legrandsoir.info/l-algerie-dans-la-ligne- de-mire-us-24380.html


3. Chems Eddine Chitour http://commentjevoislemonde.blogs.nouvelobs.com/archive /2013/03/04/ comment-etre-algerien-au-xxie-siecle-l-urgence-du-vivre-ense.html


4. M. Abdulsalam http://le-nouvel-ordre-mondial-illuminati.over-blog.com/article-juifs-et-chretiens-au-temps-du-prophete-mohammed-et-des-khalifes-77383483.html

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

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