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1 octobre 2009 4 01 /10 /octobre /2009 07:27


 


«Le patriotisme est la plus puissante manifestation de l’âme d’une race. Il représente un instinct de conservation collectif qui, en cas de péril national, se substitue immédiatement à l’instinct de conservation individuelle.»

Gustave Le Bon


         
Rituellement, le pays se donne des repères pour se donner bonne conscience. Je veux cette année participer en tant que professeur et faire la leçon inaugurale en espérant apporter quelque réconfort à cette communauté du savoir que sont les enseignants et en militant inlassablement pour une université qui fait la paix avec elle-même, qui sépare le bon grain de l’ivraie et surtout qui garde son indépendance pour le plus grand bien de ce pays. Je veux proposer à mes collègues comme cap pour l’université, une réflexion douloureuse sur la dérive de l’éthique et les moyens de la conjurer, ainsi que quelques pistes pour un engagement visant à la faire rentrer de plain- pied dans le développement. L’Université que je décris n’est pas celle des chiffres mais celle de l’acte pédagogique au quotidien, acte qui se détériore inexorablement. Considérée à tort ou à raison comme un tonneau des Danaïdes, les pouvoirs publics pensent régler ainsi la malvie de l’université. Ce dont nous avons le plus besoin ce n’est pas uniquement de financement mais de morale, d’éthique et de respect de la science ainsi que des compétences.

       

           Il est connu que les sociétés se distinguent par leurs fondements de justice, de démocratie et d’égalité de chances devant la loi; elles évoluent selon la qualité et le dévouement de leurs élites dont la formation et le renouvellement reposent sur une exigence démocratique de qualité et de transparence. C’est à l’Université qu’il doit revenir de rechercher cet optimum dans le long terme, entre la qualité et la quantité, à l’abri de la politique à court terme; la qualité engendre rapidement la qualité; son inverse répand dans la société «une culture de l’à-peu- près» et de la confusion des valeurs. L’exigence de qualité et de progrès dans la société repose sur une culture de l’éthique et du dévouement, en particulier du comportement des enseignants qui doit être exemplaire. L’enseignant est l’exemple par excellence de ce comportement de référence; l’exercice du métier d’enseignant exige une personnalité tournée vers le service public mais nécessite aussi un statut moral et matériel minimum que doit lui consentir la société.

On peut mieux faire

       Que constatons-nous? De graves dérives! Devant cet état de fait, nous avons le devoir de tirer la sonnette d’alarme et d’attirer l’attention de qui de droit Nous sommes convaincus que les choses pourraient mieux se passer: l’université a besoin de stabilité et de cohérence au moment où son avenir est en jeu. Souvent l’Administration s’ingère dans le pédagogique. Les fléaux qui gangrènent l’université sont nombreux. Il s’agit de fraudes et de corruption qui touchent pratiquement toutes ses activités pédagogiques et scientifiques, tous les acteurs de l’université sont cités (les enseignants. les étudiants, le personnel administratif). Les causes de ces fléaux sont multiples: l’abus de pouvoir et l’inexistence d’alternance dans les postes de responsabilité et surtout l’implication de l’administratif dans le pédagogique. La corruption est un nouveau fléau, qui commence à prendre de l’ampleur au sein des établissements universitaires, dû probablement à l’absence de règles d’éthique et de déontologie et à la dégradation de la situation matérielle de l’enseignant. La corruption est une infraction difficile à établir car le corrompu et le corrupteur ne se dénoncent pas. La fraude action destinée à tromper influe sur la constitution même du potentiel scientifique de l’université et du pays. Il est tragique de constater que certains enseignants, heureusement en petit nombre, en viennent à falsifier des données expérimentales dans une thèse, un mémoire, ou un rapport de recherche. 

       

       De plus, «l’administratif responsable» est souvent une sorte de «paléo-enseignant» qui «fait tout pour qu’il n’ y ait pas de vagues en s’ingérant dans le pédagogique, voire imposer des jurys. Honnêtement, il faut se demander combien, parmi ces intronisés, continuent réellement à enseigner. Comment la détérioration des valeurs est venue? C’est d’abord une lassitude des enseignants qui, harassés de se plaindre contre leur mal-vie, ont choisi d’investir, pour les plus vulnérables, le chemin de la facilité, les compromis menant comme on le sait aux compromissions. Le combat pour une université éclairée, tolérante, libre de réfléchir mais aussi responsable devant l’Histoire et le peuple, est notre combat. Le «djihad» contre l’ignorance est un «djihad» toujours recommencé; c’est, d’une certaine façon, le «Grand Djihad» sans médaille, sans m’as-tu-vu, sans attestation communale, sans bousculade pour des postes «honorifiques» qui s’installent dans la durée, faisant de leur titulaire un non-enseignant. (1)

       

         Pour nous, nous sommes convaincus: il n’y a rien d’irrémédiable: l’enseignant universitaire doit organiser ses activités de telle sorte qu’elles ne puissent nuire à l’exercice de ses fonctions. Il doit agir dans l’exercice de ses fonctions avec compétence, diligence, intégrité, indépendance, loyauté et respect des intérêts de l’Université. Les étudiants ont le droit au respect, à la dignité et à l’honnêteté de la part des enseignants et de l’Administration. Ils doivent s’engager à travailler loyalement dans la discipline, l’intégrité et le respect du règlement des institutions et du corps enseignant qui doit agir dans un esprit d’intégrité, de loyauté et d’autonomie afin de protéger l’exercice de la fonction d’universitaire des interférences extérieures éventuelles, notamment en s’interdisant d’interférer dans le «pédagogique» qui est du strict ressort de l’enseignant.

   

     Par ailleurs, nous avons souvent remarqué que rituellement, la diaspora était sollicitée, généralement en été - pour cause de vacances. On fait croire que d’eux, viendra le salut du pays, et que d’une certaine façon ils ont bien fait d’avoir fui le pays, perpétuant ainsi le désarroi de la communauté des enseignants restés au pays au plus fort de la détresse du pays et qui ont témoigné au quotidien, en enseignant au péril de leur vie, que «l’Algérie était debout». À l’heure de l’Internet, nos élites expatriés dans le cadre d’un cap peuvent intervenir à distance. L’Algérie aura la communauté émigrée qu’elle mérite. L’émigration à la «Tati» a vécu. Dans le cadre d’une action pérenne avec notre diaspora, je propose la mise en place d’une opération visant à revitaliser notre système éducatif par l’achat d’un million de «laptops» (micro-ordinateur pour les écoliers) leur prix est de 40 dollars (30 euros). On pourrait même innover en les fabriquant ici, créant ce faisant, de la richesse en réveillant le ministère de la Formation professionnelle. N’est-il pas possible que notre diaspora de l’intelligence mette 100 dollars pour réaliser cette utopie qui fera à coup sûr décoller le système éducatif?

   

          Un deuxième axe de réflexion concerne l’apport au développement du pays, de l’université. Quand parler de patriotisme économique est un sacrilège pour les intégristes de la mondialisation, la question qui se pose est: quand est-ce que nous allons nous mettre au travail en offrant une perspective future à ces jeunes pour qu’elle ne se consume pas, qu’elle ne pratique pas la harga mortelle de la mer ou celle plus soft après un diplôme? Beaucoup de choses que nous savions faire ont été balayées par la mondialisation et le libéralisme que l’on nous disait inéluctable «Nos emplettes sont nos emplois», il nous faut redécouvrir l’effort national et, sans prétention, mettre en avant le patriotisme économique en poussant nos entreprises à se parfaire et à ne plus avoir la mentalité de la rente du monopole. L’Algérie vit sous perfusion pétrolière, finance l’emploi des travailleurs turcs, français, chinois et autres. Pendant ce temps, l’Algérien ne travaille pas. On ne sait plus rien faire. 

   

          Dans cet ordre de «l’autosuffisance», en 1981, étant à la tête de l’université de Sétif, j’ai demandé à l’Institut de mécanique et d’optique de précision de concevoir un microscope dans le cadre d’une recherche (un simple projet de fin d’études). Le microscope fut réalisé grâce à l’apport du verre optique (fourni par Zeiss). La conception a permis d’intégrer plus de 90% de cet appareil avec un pouvoir de résolution de 200 fois!. Les écoles et les lycées en importaient plusieurs milliers. J’ai même demandé à ce que les pouvoirs publics aident les deux ingénieurs qui ont participé à sa conception, à réaliser d’abord un atelier avec une coordination avec l’éducation nationale. Peine perdue! C’était l’époque euphorique du PAP et «d’une vie meilleure!». La formation professionnelle n’a pas suivi son temps; mises à part la mode de l’informatique de bureau ou l’importation des milliers de casques de coiffeurs et des fils à plomb. Il est vrai aussi que la disparition des lycées techniques et des collèges techniques et a tari les filières de mathématiques et de mathématiques techniques, au profit d’un Bac sciences «tout-venant» hypertrophié, qui ne convient pas à la formation technologique.

   

          Au vu des enjeux qui nous attendent, une bonne partie des enseignements du supérieur devraient être revus, notamment dans les disciplines technologiques pour prendre en charge les nouveaux défis. Il en est un que je propose à la réflexion, c’est celui de la stratégie énergétique dans un contexte de raréfaction et de perturbation climatiques. L’Algérie envisage de porter sa production de pétrole à 2 millions de barils par jour d’ici l’horizon 2012 avec, en plus, 85 milliards de m3 de gaz à l’importation. La question qui se pose est: pour quoi faire? Veut-on hâter la fin du pétrole en pompant d’une façon inconsidérée pour tarir les réserves prouvées de pétrole de 15 milliards de barils,(BP) et être à sec dans 20 ans! Ne veut-on rien laisser pour les générations futures? Pourquoi enfin vendre le pétrole à moins de 70 dollars (15 dollars de 1985) alors que le pétrole est appelé dans les années qui viennent, à devenir de plus en plus rare, donc de plus en plus cher. Enfin, nos réserves de change ne justifient pas ce pompage frénétique; nous n’avons pas besoin de financement d’autant que nos réserves sont placées dans des banques américaines et leur pouvoir d’achat se détériore inexorablement. «Notre meilleure banque c’est encore notre sous-sol».

    

           Le problème de l’énergie et plus largement du développement durable n’est pas du ressort exclusif de la tutelle de l’énergie mais de tout le pays (ministères, société civile, système éducatif et université). Rien de cohérent ne sera viable en dehors d’une vision du futur. Comment, par exemple, contribuer à construire ses propres centrales solaires éoliennes, ses propres digesteurs de biomasses? Comment faire de l’Algérien un écocitoyen et non un ego-citoyen qui dépense sans compter- nta’e el bailek- gaspille à qui mieux mieux puisque en Algérie les ressources vitales sont gratuites, une bouteille d’eau minérale est l’équivalent de 5 m3 d’eau, l’électricité et les carburants sont disponibles à un prix dérisoire. En un mot, comment mettre en place la machine de la création de richesse. Une réponse possible, le recours d’une façon massive à l’université, à la richesse dans le cadre de mémoires d’ingénieurs de thèses de magister ou de doctorat, pour créer graduellement un savoir et une expertise pour aboutir à construire soi-même sa propre centrale. Imitez les Chinois et les Indiens qui ont mis en place leur propre technologie.


Les défis qui nous attendent

     Des états-généraux de l’énergie, qui concernent tout le monde (les départements ministériels, la société civile, les entreprises), devraient déboucher sur une stratégie énergétique pour les vingt prochaines années. Il nous faut d’abord dresser un état des lieux et faire un constat sans complaisance de nos réussites et échecs de nos ressources énergétiques réelles. Dans un deuxième temps, il nous faut faire des hypothèses de consommation, de démographie pour prévoir la demande à différents horizons (2030, 2050). Il nous faudra ensuite faire le point de nos ressources mobilisables dans le cadre du développement durable en faisant des hypothèses réalistes de pénétration graduelle des énergies renouvelables. Tout ceci aboutit à un modèle énergétique dans lequel les énergies renouvelables seront le maillon fort, mais pas seulement. Ce Plan Marshall de l’énergie et du développement durable est plurisectoriel. C’est une feuille de route qui engage tout le monde, de l’écolier à l’universitaire, et aux citoyens en général. Interviendrait alors la nécessité d’intégrer tout ce que nous pouvons faire par nous-mêmes pour créer de la richesse en créant de l’emploi.

  

      Il nous faut par un plan rigoureux, par l’aide des médias lourds et par la participation de tous contribuer à former l’écocitoyen de demain, convaincu qu’il peut consommer mieux en consommant moins et en évitant par ses éco-gestes tout ce qui est inutile en préférant par exemple des fruits locaux et de saison à l’achat de raisins d’Argentine qui ont fait des milliers de km pour atterrir sur notre table, polluant d’une façon inconsidérée la planète. L’Université algérienne, toutes proportions gardées, a devant elle, si cette stratégie venait à être adoptée, un plan de charge de formation d’ingénieurs et de techniciens sur les vingt prochaines années. C’est dire si une stratégie énergétique bien pensée est porteuse d’avenir en termes de couverture des besoins mais aussi en termes de création de richesses et de gisements importants d’emplois dans la mesure où la formation et la recherche sont directement indexées sur les préoccupations du pays.

    

       Cette modeste réflexion lève le voile sur un gisement formidable des possibilités induites par ce Plan Marshall de l’énergie et du développement durable. Nous ne pourrons plus former et employer. Par contre, nous devrons former des jeunes capables de se prendre en charge dans le cadre d’une stratégie du pays. «La meilleure énergie est celle que l’on ne gaspille pas dit-on. On devrait ajouter que pour le pays», «la meilleure énergie c’est sa jeunesse» qui devra être partie prenante de son avenir. Il vient que la mise en place d’une base technologique qui mise sur l’université qui, sera à n’en point douter le creuset des «start-up», notamment dans le domaine de l’énergie, permettrait de donner une perspective aux milliers de diplômés. Ce combat pour l’émergence d’une formation de qualité nous devons le mener tous ensemble. La gestion au fil de l’eau est encore possible tant que nous pompons d’une façon frénétique une ressource qui appartient aux générations futures. «Demain se prépare ici et maintenant». Il nous faut en définitive, une stratégie pour l’avenir qui mise sur l’intelligence pour proposer une alternative à ces jeunes en panne d’espérance.

 

1.C.E. Chitour. Le Quotidien d’Oran 7 juillet 2008

 

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique Alger enp-edi.dz

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