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11 octobre 2012 4 11 /10 /octobre /2012 09:42

  

 

 «Il est très vrai que, pour faire un puissant ministre, il ne faut qu'un esprit médiocre, du bon sens et de la fortune; mais, pour être un bon ministre, il faut avoir pour passion dominante l'amour du bien public. Le grand homme d'État est celui dont il reste de grands mouvements utiles à la patrie.»

Voltaire

 

 Il est de tradition quand une personnalité disparait de retracer son chemin en oubliant ses phases sombres pour ne zoomer que sur ses actions positives. Pourtant, cette fois-ci les commentaires et écrits à propos de la mort du président Chadli Bendjedid ne nous ont pas paru objectifs. Porter des jugements de valeur qui vont d'un bout à l'autre de l'invective à l'amnésie ne faisant apparaitre - et c'est naturel- que les aspects positifs de la période Chadli, ne fait pas avancer la vérité. Il est vrai que les «laudateurs» qui en rajoutent décrédibilisent la présidence de Chadli donnant du grain à moudre à ceux pour qui le règne de Chadli ne trouve pas grâce à leurs yeux, d'autant que certains étaient aux premières loges et «crachent maintenant dans la soupe». Il n'empêche que tout le personnel politique, ancien et nouveau, s'est retrouvé à El Alia, ce qu'un observateur a appelé le bal des hypocrites.



 

Qui était réellement Chadli Bendjedid?

 

Chadli Bendjedid est né à Bouteldja, un douar de l'Algérie profonde, en 1929. Nous allons tracer rapidement son parcours et nous appesantir sur les années 1980 en Algérie qu'il a marquées de son empreinte. Chadli Bendjedid s'est engagé, dès 1954, au FLN, avant de rallier une année plus tard l'Armée de libération nationale (ALN) dans la Wilaya II (Constantinois). En 1956, Chadli occupa une responsabilité dans sa région, pour devenir en 1957 adjoint du chef de zone et capitaine chef de zone en 1958. Il fait un bref passage au commandement opérationnel de la zone Nord en 1961. A l'Indépendance, en 1963, il supervise le retrait des troupes françaises de cette région avant de prendre le commandement de la 2e Région militaire (Oranie) le 4 juin 1964. Il fut membre du Conseil de la Révolution algérienne, le 19 juin 1965, après le renversement du président Ben Bella. En février 1968, il contrôle également le retrait des troupes françaises de l'Oranie, en particulier l'évacuation de Mers El Kebir. Une année plus tard, il est promu au grade de colonel.


Les qualités humaines du président Chadli

 

Un mot revient souvent; «Chab'ane», «Ce n'est pas un affamé capable de rapine bassement matérielle». Mouloud Hamrouche, qui fut secrétaire général de la Présidence puis chef de gouvernement, a souligné les qualités humaines du président faisant de lui un être humble et compréhensif. Il n'était pas facile pour un quelconque responsable de l'époque de succéder à Boumediene mais Chadli a pu se hisser à la hauteur de cette responsabilité. Ceux qui l'ont approché gardent de lui le souvenir d'un homme sage et affectueux avec ses collaborateurs. Ils ont également décelé en lui un bâtisseur d'abord, aux côtés de Houari Boumediene puis, lors des années pendant lesquelles il a eu à assumer les plus hautes charges de l'Etat.

 

Les personnalités ayant exercé des fonctions en compagnie de Chadli, sont d'accord pour dire que Chadli avait toujours comme préoccupation le bien-être des citoyens. Il semblerait que Chadli ait été très affecté par les événements d'Octobre 1988 et qu'il allait déposer sa démission lors du Congrès du FLN qui s'est tenu juste après. Curieusement, on s'aperçoit que Chadli a oeuvré pour l'édification du pays d'une façon totale; en tant que militaire, les reportages le montrent en train d'inaugurer des dizaines de réalisations où l'armée était partie prenante du développement.
«Il est vrai, écrit Mohamed Tahar Messaoudi, que Chadli Bendjedid n'avait pas le charisme de son illustre prédécesseur, Houari Boumediene, ni son talent d'orateur. Mais les Algériennes et les Algériens ont vite perçu chez cet homme un peu gauche et peu sûr de lui, à l'accent très prononcé de l'extrême Est du pays, un profond humanisme. C'est avec cette qualité indéniable qu'il a géré le pays, depuis sa prise de fonction jusqu'à sa démission en janvier 1992. Après des débuts laborieux, Chadli Bendjedid a vite fait de neutraliser les caciques de l'ancien régime. (...) Il gagnera encore plus en popularité en supprimant l'autorisation de sortie du territoire. La société algérienne s'est enfin sentie libérée d'un carcan étouffant. (...) Kasdi Merbah nous a révélé un jour que certains membres du bureau politique du FLN avaient voulu mater la révolte en Kabylie dans le sang, mais Chadli Bendjedid avait refusé catégoriquement cette option, préconisant plutôt le dialogue. Face à la revendication amazighe, on ne lui doit que cette phrase: «Je suis un Amazigh que l'Islam a arabisé.» Toute une philosophie qui traduit l'humanisme de Chadli, mais cela ne l'a pas aidé à prendre des décisions audacieuses. Il est vrai que son entourage immédiat ne l'a pas poussé dans cette voie. (...)» (1)


La volonté d'ouverture démocratique est antérieure à 1988

 

Chadli Bendjedid a accepté de quitter le pouvoir sur la pointe des pieds sans jamais lever le voile sur les rentiers du FLN. Chadli Bendjedid a gardé jusqu'à sa mort le secret sur les «conseilleurs» qui lui avaient assuré, sur la foi des rapports des services de sécurité, que le risque de l'ex-parti dissous de remporter la majorité parlementaire était nul. De plus, l'énigme demeure sur la légalisation des partis au nom de la religion ou de l'identité en contradiction flagrante avec la Constitution. Ayant refusé d'interrompre le processus électoral pour ne pas être accusé d'avoir dévoyé le processus démocratique engagé et par respect de la légalité constitutionnelle, il a choisi de partir.

 

Il est faux de croire ou de faire croire que le président Chadli n'était pas préoccupé par l'ouverture politique mais les caciques du parti du FLN avaient tout verrouillé notamment avec l'article 120 toute velléité d'aggiornamento. Cependant, pour l'histoire, il faut reconnaître au président Chadli d'avoir pour la première fois entrouvert le champ de l'expression par le Code de l'information en 1984. Pour avoir été associé à la réflexion, je peux témoigner que Mouloud Hamrouche, secrétaire général à la Présidence, nous avait demandé - cela se passait en 1987- de faire preuve d'imagination et d'aller de l'avant. Cela se passait plus d'un an avant les événements d'Octobre 1988. C'est dire la préoccupation du pouvoir qui avait fort à faire avec un appareil FLN sclérosé ennemi de toute ouverture. Preuve s'il en est de la volonté du président Chadli de procéder à des réformes allant dans le sens de la démocratie de l'ouverture.

 

Mouloud Hamrouche, qui eut par la suite le difficile privilège de conduire une équipe de technocrates, mit en application les Réformes forcément impopulaires mais nécessaires qui devaient permettre un décollage de l'économie algérienne dont, notamment la Loi sur la monnaie. Ce difficile travail des réformes avec l'assentiment du chef de l'Etat. Beaucoup d'hommes se permettent de juger sans savoir cette difficile période. Mouloud Hamrouche, l'un des plus habilités à parler de cette époque, a rendu pour sa part un hommage sobre, avec des mots simples. La rupture violente un certain 5 juin 1991 au sein du régime a précipité la fin des réformes, l'appel à une nouvelle équipe qui a procédé à l'organisation d'élections qu'on nous avait promises propres et honnêtes.


Les années de la présidence Chadli

 

On ne peut pas bien comprendre les heurs et les malheurs si on ne prend pas en compte les données concernant la situation mondiale, notamment le marché pétrolier. Pour certains analystes, le règne de Chadli a commencé par la montée des revendications identitaires et démocratiques. Il a fini par le chaos islamiste. Les émeutes d'Octobre ont poussé Chadli et les hommes qui l'entouraient à ouvrir une brèche pour la démocratie en constitutionnalisant le multipartisme, à la faveur de la Constitution de 1989. Les islamistes, qui ont exploité la détresse sociale des Algériens, ont raflé les Assemblées locales à l'occasion des élections municipales de juin 1990. Ce sacre islamiste et les menaces proférées contre la société ont conduit à l'interruption du processus électoral. Le 4 janvier 1992, l'Assemblée populaire nationale (APN) présidée par Abdelaziz Belkhadem fut dissoute. Le président de la République a démissionné quelques jours plus tard, le 11 janvier 1992. Voilà pour l'aspect politique. Qu'est il de l'aspect économique et social? Pourquoi les émeutes ont eu lieu?

 

«Le règne de Chadli Bendjedid fut, sans doute écrit Azzedine Bensouiah, celui qui fera découvrir aux Algériens les "vertus" de la consommation. Les Souks El-Fellah et les Galeries étaient devenus, l'espace d'un règne, un véritable temple. L'époque des frigidaires, des cuisinières, des télévisions couleur, des "Passat" , des "Honda" et autres "Ritmo" et "Zastava" allait changer fondamentalement les habitudes et les certitudes des Algériens. Les allocations touristiques allaient donner aux Algériens la chance de pouvoir faire le tour du monde, en toute aisance. Le pays s'était transformé en bouche ouverte qui consommait tout ce qu'on lui importait. Inconscient des dangers qui le guettaient et qui allaient compromettre sérieusement son avenir, avec la chute brutale des cours du pétrole.(2)


Que se passe-t-il ensuite?

 

La chute vertigineuse des prix du pétrole dès 1984, les multiples erreurs commises par le gouvernement dans la gestion financière du pays et l'aggravation du phénomène de la corruption allaient avoir un effet dévastateur. Pourtant, des pans entiers de l'industrie, des dizaines d'usines furent fermés. Il y eut même au début des années 1980 avec un Premier ministre «singulier» omniscient, un détricotage minutieux des grandes entreprises en une multitude de petites entités avec des personnes pléthoriques. Même l'Université n'y échappa pas. Les différents instituts la composant furent autonomes avec chacun un personnel pléthorique et une cacophonie en prime. C'était l'époque du baril à 40 $ et du dollar à cinq francs. L'Algérien découvrait les mirages de la société de consommation sans effort avec le sentiment que tout lui est dû. Graduellement, les importations furent privilégiées au détriment du développement local; beaucoup de secteurs productifs se sont effondrés. La chute des prix du pétrole à partir de 1986 mettra fin à cette politique socio-économique.

 

L'Algérie s'est endettée pour nourrir la population. C'était réellement une atmosphère de fin de règne prélude aux émeutes. La révolte d'Octobre 1988 en sera la conséquence. Chadli Bendjedid sera très affecté par la mort de nombreux jeunes Algériens. Il a fallu, pour Chadli Bendjedid, vaincre le courant au sein du FLN de Mohamed Cherif Messaâdia, hostile à l'ouverture du champ politique au pluralisme. Le courant réformateur a fini par avoir le dessus. Une floraison de partis allait voir le jour. Seuls quelques-uns retiennent l'attention: le FFS d'Aït Ahmed, le PSD et... les islamistes du FIS. Les autres seront traités de «sanafir» par le leader du FIS, Abassi Madani. Le poids des islamistes sera mesuré lors des premières élections locales pluralistes, en 1990. La suite est connue: les élections de décembre 1991 seront invalidées. Le président Chadli Bendjedid démissionne. L'Algérie entre dans une guerre sanglante contre le terrorisme islamiste. Vingt ans après, que reste-t-il de l'héritage de Chadli Bendjedid?» (1)



 

La politique extérieure de l'Algérie à cette époque

 

En diplomatie, il sera le premier président de l'Algérie à se rendre en visite officielle aux Etats-Unis, les relations avec ce grand pays ne cesseront de se renforcer, notamment depuis le rôle remarquable qu'avait joué l'Algérie dans le dénouement de la prise d'otages américains à Téhéran (Iran). Avec la France de François Mitterrand ce fut l'ambiguïté sur toute la ligne. La France ayant toujours deux fers au feu. En novembre 1988 une autre victoire pour l'Algérie avec la symbolique de Boumediene «Nahnou ma'a Falastine kanate dhalima aoue madhlouma» a fait qu'Alger abrite la naissance de l'Etat de Palestine. Pour Me Miloud Brahimi, dans une interview à la Chaîne III. Chadli fut l'un des moteurs de l'Union Maghrébine et les Maghrébins lui savent gré d'avoir pu se faire rencontrer les chefs d'Etat maghrébins à Zéralda. Le Monde arabe le préoccupait au plus haut point et sa voix dans les sommets arabes était écoutée. Avec ses convictions pour la dignité des peuples arabes, il ne s'associa pas à l'aventure américaine contre l'Irak où 26 nations s'acharnaient sur le peuple irakien avec en prime des pays arabes qui ont fait partie de la croisade.

 

A l'étranger, le président a fait, globalement l'objet d'éloges. L'ancien président est présenté comme l'un des acteurs majeurs des années 1980 et 1990, mais surtout, un témoin clé dans tout ce que l'Algérie a vécu depuis son arrivée au pouvoir en septembre 1979 jusqu'à sa démission. (...) Avec l'ancien président, indique Le Figaro, «l'Algérie a connu surtout le début de ce qu'on appellerait aujourd'hui le ´´printemps algérien''». Ainsi, le Washington Post, le Huffington Post, le Los Angeles Times qui ont mis en évidence une photo du président défunt avec le maire de la célèbre ville californienne, Tom Bradley en 1985, précisant que Chadli fut le premier chef d'Etat algérien à effectuer une visite officielle aux Etats-Unis. Pour les médias américains, Chadli a été donc présenté comme «l'homme de la modération qui s'était démarqué de la ligne dure de pays comme la Syrie, la Libye ou encore le Yémen du Sud». En effet, selon le quotidien de la Côte-Ouest américaine «Chadli fut le premier président algérien à avoir jeté les bases de relations apaisées avec l'Occident».(3)

 

   Depuis son départ de la Présidence, le président Chadli a coupé contact avec tout le monde. Il refusait de recevoir des personnalités publiques qui le sollicitaient.Il rompt pourtant le silence en recevant, en 2001, quelques journalistes chez lui pour dire ses «vérités». «Ceux qui m'accusent d'avoir effacé les traces de l'ère Boumediene sont précisément ceux qui ont le plus bénéficié de la situation et qu'on appelle les barons du régime». Chadli Bendjedid n'a pas voulu du pouvoir, nous le croyons, il fit du mieux qu'il put, il a été mal conseillé. Nous retenons de lui cette époque féérique de la libération de la parole, celle des Mourad Chebine haranguant Ben Bella, celle où un court moment nous nous sommes sentis libres. Merci Monsieur le Président pour nous avoir montré ce que c'était que la liberté. Reposez en paix.

 

1. Mohamed Tahar Messaoudi: L'homme au profond humanisme El Watan 08.10.12

2. Azzeddine Bensouiah http://www.liberte-algerie.com/actualite/et-l-algerien-devint

consommateur-il-etait-une-fois-les-annees-1980-186676
3. Kamel Lakhdar -Chaouche: L'homme de la modération et de la démocratie 08.10.2012

 

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 

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