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30 juillet 2009 4 30 /07 /juillet /2009 10:17


Chems Eddine Chitour

Professeur à l’École Polytechnique Alger


Encore une fois, la communauté universitaire se voit rabaissée par une diversion, une de plus dira-t-on. Après le Panaf et la problématique Lucy, c’est au tour des nationaux expatriés de venir en vacances – pas pendant l’année, ces messieurs dames travaillent pour des employeurs exigeants. Les vacances d’été sont de ce fait appropriées pour voir la famille, décompresser avec quelques euros changés au noir pour des liasses de monnaie de singe, contribuant, on l’aura compris, à couler encore plus l’économie nationale, et le cas échéant de parler comment aider le pays à sortir de son sous-développement : “Ikhardjouna min el gharka” (Ils vont nous extraire de la gadoue).


Après l’extinction des lampions du Panaf, petit bilan objectif : le Panaf a coûté plus de 800 millions de DA et a perturbé le traintrain existentiel des Algérois. On rapporte que des troupes ont été caillassées lors de leur passage à Bab El-Oued. Ce Panaf a permis de ramener et de prendre en charge plus de 5 000 personnes pendant plus de 15 jours aux frais du contribuable. Question : Quelle est la valeur ajoutée de cette zerda en dehors des mots pompeux de rayonnement de l’Algérie, du renouveau, bref, de la singularité du génie algérien dont on sait qu’il n’y a aucun signe tangible. Je veux prendre l’exemple de la fausse Lucy, c’est un événement banal en soi, mais que l’on trompe – une fois de plus– les citoyens en leur affirmant mordicus que c’est l’original, il y a dérive éthique.


Ceci dit, j’ai fait le déplacement pour voir Lucy et j’ai été étonné du fait qu’il n’y ait aucune surveillance, ni fouille, ni protection sérieuse. Tout ce qui nous a été dit est que le “squelette ne supporte pas les flash”. Naïfs que nous sommes d’avoir cru que ce non-événement allait être sauvé par Lucy, quand bien-même elle ne serait qu’une lointaine tante, et notre mère, car depuis 1974 d’autres australopithèques furent découverts, notamment Tsumaï, l’homme du Tchad, qui aurait 7 millions d’années.


Pour couronner le tout, les organisateurs n’ont pas eu l’intelligence, voire l’élégance, d’indexer le Panaf-zerda à l’anniversaire de Mandela le 18 juillet (de grands concerts ont eu lieu dans de grandes capitales), c’était l’occasion unique – à faibles frais - de redorer le blason de l’Algérie, de redonner du sens au Panaf et de faire peut-être intervenir Mandela en vidéo avec un message au Panaf à l’occasion du concert pour son anniversaire On a fait tout faux avec l’argent du contribuable. Tant que ceux et celles qui nous gouvernent sont bardés de certitudes et n’ont pas l’humilité d’écouter, l’Algérie ne s’en sortira pas avec des fuites en avant perpétuelles.


L’autre diversion et non des moindres nous est donnée par le ministère des Affaires sociales, qui, toujours fidèle à lui-même, nous ressort un dossier maintes fois brandi, celui de l’apport des cerveaux algériens expatriés, seuls capables de sauver ce pays… à distance. Il me souvient d’une même mascarade en 1994 où à grands renforts de billets on a ramené tous les Américains, Canadiens, voire Japonais, qui avaient une occasion unique de visiter le pays au frais du contribuable algérien. Ce fut un flop. Il y eut d’autres diversions du même type ces dernières années.


Au vu de la récidive, il semble que l’expérience ne soit toujours pas tirée, au contraire, comme au bon vieux temps de l’Amicale des Algériens en Europe, on tente de “structurer” ces éminences grises sans leur tracer de cap si ce n’est de vagues promesses de participation au développement. Promesses qui n’engagent, dirait Jacques Chirac, que ceux qui y croient.


De quoi s’agit-il en fait ? Au risque de ne pas être “politiquement correct”, il s’agit ni plus ni moins que de personnes qui ont décidé de faire passer leurs intérêts personnels et ceux de leurs petites familles avant l’intérêt du pays. Quoi de plus normal, me diriez-vous, dans un pays en pleine anomie. Ce comportement est d’autant plus légitime que l’Algérie, non seulement ne fait rien pour retenir ses élites, mais de plus fait ce qu’il faut pour amener au désespoir les rares universitaires restés au pays pour diverses raisons. Voilà donc des cadres, qui tentent et pour certains réussissent à s’intégrer, au prix de grands efforts, dans des sociétés où le darwinisme est de mise. Il est de ce fait utopique de leur demander de revenir au pays pour plusieurs raisons : il est moralement répréhensible de les déraciner de leur nouveau home, qu’ils ont tant de mal à consolider, pour leur offrir quel type d’emploi ? Certainement pas celui qu’ils ont quitté ! Ces cadres ayant un niveau de vie de loin plus élevé ne se contenteront pas des miettes jetées à leurs collègues enseignants restés au pays.


Pour ne parler que des scientifiques expatriés, des diasporas de l’intelligence se constituent d’une façon aléatoire autour d’un certain nombre de référents identitaires et aussi religieux. Cette "diaspora de la connaissance", beaucoup plus faible numériquement que l’émigration classique, n’en est pas moins beaucoup plus influente ; socialement intégrée dans le pays d’accueil, elle est capable d’actions positives envers la mère patrie. La question de l’apport des scientifiques “algériens” expatriés demande à être approchée non pas sentimentalement mais avec un certain réalisme politique et une intelligence de la situation qui évacue les comportements affectifs. À l’heure de l’Internet, le besoin de la présence physique de nos élites en Algérie n’est pas une condition indispensable.


De ce fait, et pour les conforter dans leur lieu d’intégration, le moment est venu pour l’Algérie de leur apporter ce complément de culture, multiforme, d’identité et ce besoin d’âme que le pays d’accueil ne peut mettre à leur disposition. L’enseignement de la culture de la civilisation algérienne, l’enseignement de l’histoire et du fait religieux contribueront, indépendamment de leur intégration harmonieuse aux lois de la République du pays d’accueil, à ancrer dans leur espace civilisationnel ces Algériens de cœur et d’esprit.


L’Algérie aura la communauté émigrée qu’elle mérite. Elle est à une croisée des chemins concernant sa communauté émigrée. Si elle ne fait rien de pérenne et de solide, elle perdra l’immense réservoir de compétences, de savoirs, de savoir-faire et surtout d’influence quant à sa politique étrangère. L’émigration à la “Tati” a vécu, nous devons faire émerger une diaspora de l’intelligence pour faire vibrer la corde patriotique envers la “mère patrie”. À l’instar de la diaspora juive ou libanaise, il ne faut pas perdre son énergie dans des combats d’arrière-garde. À nous d’accompagner l’apport bien compris de nos nationaux “expatriés”, en les faisant travailler avec les scientifiques restés à demeure. Notre diaspora scientifique dépasse les 100 000 personnes, à nous de l’aider à se constituer en lobby.


Pendant longtemps, l’émigré avait pour objectif de revenir au pays “couler de vieux jours, et montrer les signes de sa réussite” (maison du troisième âge). Pour Yamina Benguigui, “les immigrés ont grandi avec la main sur la poignée de la valise”. Depuis une quinzaine d’années, on constate un ralentissement. Dahmane El Harrachi nous affirmait qu’ils reviendraient : "trouh ta’ia oua touali", ce n’est plus vrai ! De plus en plus, les émigrés décident de finir leurs jours en France, à telle enseigne qu’ils demandent de plus en plus de carrés dans les cimetières. Ainsi dans les faits, “l’émigration de papa a vécu”, l’émigration du siècle dernier, l’émigration à la “Tati” appartient au passé. S’agissant de son apport au pays, une étude intitulée Femip révèle que les émigrés originaires des pays de la rive sud de la Méditerranée, établis en Europe, envoient annuellement entre 12,4 et 13,6 milliards d’euros vers leurs pays d’origine. Ce rapport qui conclut que des trois pays du Maghreb, l’Algérie vient en pole position avec 3,15 milliards d’euros, devançant le Maroc et la Tunisie avec respectivement 2,13 et 0,84 milliards d’euros. Néanmoins, le transfert de la moitié de ces fonds s’effectue par des canaux informels. Il serait intéressant de savoir réellement ce qui transite par les banques et ce qui contribue en toute impunité à couler l’économie du pays, contrairement à ce qui se passe au Maroc et surtout en Tunisie où le patriotisme n’est pas un vain mot.


L’émigration-héroïque notamment par son rôle pendant la Révolution - devrait, si on sait s’y prendre, être remplacée progressivement par une émigration de l’intelligence. La connaissance est aujourd’hui la source fondamentale de la création de richesse et le facteur primordial de la compétitivité internationale. S’agissant de la fuite des cerveaux, c’est de plus en plus d’universitaires qui s’en vont sans espoir de retour. L’Algérie aurait perdu plus de 100 000 diplômés qui se retrouvent principalement en France et au Canada. Pour toute la diaspora algérienne ancienne et nouvelle, un dossier doit être ouvert ; Il y a à chercher une réciprocité et un dédommagement pour ces cohortes de diplômés qui n’auront rien coûté aux pays d’immigration.


L’émigration algérienne constitue un enjeu d’avenir d’importance capitale aussi bien pour l’Algérie que pour la France ou le Canada. Ce “vivier” constitue une chance en ce qu’il fournit à ces pays un apport démographique et économique, il n’en constitue pas moins pour l’Algérie un atout de taille : une passerelle culturelle et économique supplémentaire.

En fait, nous n’avons pas eu jusqu’à présent une “stratégie de l’émigration” en dehors des résultats, en définitive, controversés de l’Amicale des Algériens en Europe. L’Algérie a besoin de se réconcilier avec son histoire. Si on ne fait rien, les émigrés ne viendront plus en Algérie, ca rien n’est fait pour affermir le lien ombilical et irrationnel qui liait leurs parents malgré tout au pays. Du point de vue attraction touristique, nous sommes loin de la qualité de service de nos voisins. Pourquoi alors, l’émigré, même avec un préjugé favorable vis-à-vis de la patrie de ses parents prendrait le risque de venir dans un pays où il est mal reçu, avec des conditions d’accueil déplorables ?


Dans le cadre d’une action pérenne avec notre diaspora, je propose la mise en place d’une opération visant à revitaliser notre système éducatif par l’achat d’un million de “laptops” (microordinateur pour les écoliers) leur prix est de 40 dollars (30 euros). On pourrait même innover en les fabriquant ici, créant ce faisant, de la richesse. N’est-il pas possible que notre diaspora de l’intelligence, que l’on évalue à 500 000 personnes, ne mette pas 100 dollars pour réaliser cette utopie qui fera à coup sûr décoller le système éducatif ?


Au lieu de toujours donner l’impression que l’Algérie est une vache à lait - il faut tordre le cou à ce slogan - ayons de l’ambition. Aidons notre diaspora à l’étranger en reformatant fondamentalement nos ambassades qui n’ont pas pris la mesure des mutations du monde où “chaque nation compte ses billes”. Il faut voir comment la diaspora tunisienne est organisée, comment le patriotisme a encore un sens et comment l’Égypte ou la Turquie attirent leur diaspora. Notre diaspora de l’intelligence - outre les combines de certains pour des postes - est dans l’ensemble dans l’attente.

À nous de faire preuve d’imagination pour les intégrer. S’agissant d’un projet utopique de l’université virtuelle de tous les savoirs, nous n’avons pas besoin de faire venir nos compétences expatriées, à distance, elles peuvent faire un cours en direct, l’envoyer, discuter de recherche par téle-conférences et autres TIC. C’est cela le monde de l’Internet du Web2.0... Au risque de me répéter, après l’Indépendance arrachée de haute lutte, par nos aînés, il est important de faire émerger d’autres familles qui feraient la révolution du neurone. Pour cela notre diplomatie devrait intégrer de plus en plus des professeurs d’université eux seuls capables de servir d’interface crédibles avec les expatriés loin du m’as-tu-vu dans des actes discrets au quotidien, pérennes et dont on sait qu’ils sont réellement porteurs d’avenir. On l’aura compris, nous sommes à une croisée des chemins. Il nous faut aller vers d’autres légitimités, celles du savoir indexées autant que possible sur un patriotisme sans faille.


Chems Eddine Chitour

Professeur à l’École Polytechnique Alger


Publié aussi le jeudi 30 juillet 2009

Journal Liberté


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